Akuma-Tenshi

Le bruit de ses pieds nus résonnait sur le sol dur pendant qu'elle courait dans ce long couloir sans fin dans une fuite qui semblait sans espoir. Les battements de son cœur se faisaient plus rapides, voir affolés ; la peur et le désespoir s'accrochaient à sa peau pâle comme des sangsues sur leur proie. Son souffle inégal laissait s'échapper de petits nuages de buée dans le froid ambiant. Elle jeta un regard apeuré en arrière et aperçut ses poursuivants, quelques pas en arrière, ils étaient si proches... La peur lui labourait le ventre tandis qu'elle se forçait à aller toujours plus vite ayant pourtant déjà dépassé ses limites. Elle s'épuisait si vite, trop vite, elle ne pourrait jamais tenir de cette façon... Un frisson la parcourut lorsqu'un courant d'air frais se faufila dans le grand couloir vide. Cette réaction était tout à fait compréhensible, la chétive créature n'ayant pour vêtement qu'une courte chemise de nuit de couleur verdâtre. Elle poussa un cri de souffrance quand elle sentit la douleur dans son dos se réveiller. Elle s'arrêta quelques secondes, ferma les yeux puis essaya d'appliquer ses mains sur les deux grandes cicatrices qui zébraient son dos. Mais avant qu'elle n'ait pu apaiser cette douleur déchirante, les scientifiques étaient déjà derrière elle. Elle reprit sa course, essayant de luter contre la douleur qui l'emplissait. Elle leva les yeux juste à temps pour voir le mur qui surplombait ce long couloir et tourner dans un geste maladroit. Elle perdit l'équilibre, tomba au sol... Un cri de douleur s'éleva dans cette nuit sans lune tandis que les scientifiques, comme des rapaces, se rapprochaient toujours plus près de leur proie, seule et sans défense. Celle-ci se releva avec quelques difficultés et continua de courir, encore, malgré sa jambe douloureuse à présent. Dans son regard fané se lisait peur et désespoir, un monde si triste... Cette pauvre créature n'avait en tête que l'envie de fuir pour échapper à cet enfer. Ces expériences, les scientifiques, cet endroit de torture, toutes ces horreurs... Rien qu'à la pensée de ces journées de cris et de pleurs, elle se sentait défaillir. Son cœur se serrait dans un étau insoutenable. Son ouïe fine distinguait les pas de ses poursuivants, tellement proche... Ils allaient la rattraper, sans aucun doute... Non... Elle n'avait pas survécu au pire pour échouer maintenant... Sa panique était telle qu'elle ne remarqua même pas qu'un homme l'attendait à la sortie de ce couloir interminable. Si seulement elle l'avait vu... Le piège se referma sur elle en même temps que les bras de ce scientifique sur son corps frêle et torturé. Elle poussa un hurlement de terreur avec toute la puissance de son désespoir mais la gifle qu'elle reçut la fit taire. Elle lui jeta un regard sombre mais n'osa pas se défendre, sachant très bien qu'elle ne pourrait rien faire dans cet état. Un homme imposant et charismatique se dirigea vers la pauvre créature d'un pas lent et sûr de lui. Celle-ci le regarda avec un mélange de crainte et de haine mais ne dit rien, trop faible pour cela. Elle le reconnaissait parfaitement, c'était le dirigeant de la section numéro un, Hyashi. Cette section vise à réaliser des expériences sur tout être qu'il jugeait sortant de la condition de simple être humain. Et actuellement, c'était elle le centre des recherches... Le dirigeant en question la regarda avec cruauté et soulagement. Il avait eu peur un instant que ce magnifique spécimen ne réussisse à s'enfuir. Il envoya l'homme présent sur les lieux au centre de la section pour lui ramener plusieurs scientifiques. Celui-ci obtempéra et partit de suite. Hyashi s'approcha alors de son spécimen et lui caressa la joue avec tendresse avant de la gifler avec colère. Il se mit à crier.

« À quoi pensais-tu? Tu croyais vraiment réussir à t'enfuir comme ça?! »

Le petit être poussa un gémissement de douleur en essayant de ne pas regarder son tortionnaire. Quand les hommes se présentèrent, il leur donna des ordres brefs et précis.

« Administrez-lui de puissants sédatifs, qu'elle ne puisse plus s'enfuir comme aujourd'hui. Il y aura sûrement des effets secondaires mais c'est sans importance. Nous ne pouvons nous risquer à perdre un tel spécimen! »

À ces mots, la chétive créature se mit à sangloter, les larmes traçant des sillons humides sur son visage pâle. Ne sortirait-elle donc jamais de cet enfer? Sûrement la mort était-elle préférable... Mais elle n'avait même pas les moyens d'attenter à sa propre vie. Cette triste vie qu'elle supportait depuis des années lui semblait-il, ne serait dédiée qu'à la torture et à la douleur?! Hyashi, semblant s'apercevoir de son trouble, lui tapota la tête d'un air compatissant avant de s'éloigner accompagné d'un rire empli de cruauté. Cet homme n'avait pas de cœur ou si il en avait eu un, n'en avait plus à présent. La pauvre petite se mit à trembler sous l'effet de la terreur grandissante tandis que les scientifiques s'approchaient d'elle d'un air insensible. Ils ne semblaient pas remarquer à quel point elle pouvait souffrir. Est-ce que toutes les personnes comme eux devaient oublier qu'ils avaient un cœur ? Pour elle, ces gens étaient insensibles et cruels. Le cauchemar allait recommencer... Et en même temps que les aiguilles pénétraient dans sa peau si fragile, un lourd sommeil s'emparait d'elle.

Le jeune homme la regardait dormir paisiblement, un sourire aux lèvres. Elle semblait si humaine, qui aurait pu croire qu'il s'agissait d'un démon comme l'avait dit son supérieur?! Et puis, elle était si jolie avec son visage adorable et se lèvres rosées... Mais elle semblait triste, tellement triste, les traits de son visage traduisaient une si grande douleur. Il lui caressa doucement la joue. Malgré l'interdiction d'Hyashi, il aimait beaucoup toucher la peau de la belle créature. Elle dégageait une chaleur tellement différente de tout ce qu'il avait pu connaître jusqu'ici... S'il avait pu, il aurait aimé la serrer contre lui dans une étreinte réconfortante. Après tout, c'était lui qui l'avait trouvé agonisante au fond de ce ravin et qui avait pris la décision de la ramener ici. Il avait du mal à croire qu'on ait pu lui couper ses magnifiques ailes mais Hyashi avait absolument voulu savoir si elle pouvait survivre sans. Et l'expérience s'était révélée concluante, elle avait survécue... Naoki se demandait si il n'aurait pas été préférable pour elle qu'elle meure. Elle souffrait tellement ici... Des fois, il en venait même à s'en vouloir de l'avoir amener à la section un. Depuis qu'elle était là, toutes les autres expériences avaient été abandonnées pour se concentrer essentiellement à l'étude de cette étrange créature ailée. Tout à coup, les paupières de l'endormie papillonnèrent avant de s'ouvrir sur de magnifiques yeux à la couleur indéfinissable. Ils semblaient être d'un bleu comparable à la mer mais teintés d'une lueur ténébreuse. Un soupçon de tristesse s'empara de Naoki qui la veillait. Ce regard semblait si vide, dénué de tout souvenir... Était-ce donc un des effets secondaires dont lui avait parlé Hyashi? La créature frêle et si pâle jeta un regard autour d'elle pour avoir une idée de l'endroit où elle pouvait bien être. Il y avait cet homme, cette couverture qui "la" recouvrait et "Elle". Elle ne se rappelait ni de comment elle était arrivée ici, ni où elle était et encore moins d'où elle pouvait se situer dans le temps. Elle avait même oublié jusqu'à sa propre identité. Elle avait tout oublié, il ne restait que cet immense trou béant avec quelques images floues et indistinctes. Elle contemplait la pièce qui l'entourait quand une voix la tira de ses rêveries.

« Alors tu t'es enfin réveillée?! Si tu savais comme tu as pu dormir longtemps! Deux mois, tu te rends compte?! »

C'était cet homme en sa présence qui venait de parler. Des cheveux châtains coupés au bol et de beaux yeux verts. Il ne lui semblait pas le connaître pourtant son timbre de voix et son visage lui étaient étrangement familiers.

« Qui êtes-vous ? »

Elle avait une voix faible et mélodique d'une beauté inhumaine. Naoki se laissa bercer par cette jolie voix quand les mots qu'elle venait de dire parvinrent à son esprit. Il sembla réellement surpris par sa question et la regarda sans comprendre. À quoi jouait-elle? Quand il vit son regard pur et innocent, la triste vérité s'imposa à lui. Il poussa un léger soupir avant enfin de répondre quelque chose.

« Ce serait donc cela les effets secondaires dont nous parlait le chef... Tu aurais donc perdu la mémoire?! Enfin, je me demande si ce n'est pas mieux ainsi... »

Il sembla rester pensif un moment tandis qu'elle le regardait sans comprendre. Était-il heureux de sa perte de mémoire? Et puis, il ne lui avait toujours pas dit qui il était. Elle finit par reprendre la parole, indécise.

« Je ne comprends pas...

-Oh, excuse-moi, dit le jeune homme en semblant revenir à la réalité. Je m'appelle Naoki, mais tu peux bien sûr m'appeler Nao! »

Naoki... Ce nom lui était étrangement familier. Il lui avait même proposé de l'appeler Nao, peut-être se connaissaient-ils bien avant... Ce pendant, sans se l'expliquer, elle préféra ne pas employer ce diminutif. Ses magnifiques yeux bleus s'assombrirent tandis qu'elle posait la question qui lui tenait à cœur.

« Naoki... Qui, qui suis-je?

-Alors tu auras même oublié jusqu'à ta propre identité... Tu t'appelles Rin!

-Rin... »

Rin, oui, ce nom lui plaisait. C'était sans aucun doute son nom, cela s'imposait en elle. Comment avait-elle pu l'oublier?! Ce nom prononcé tant de fois était le sien. Mais... Et si cet homme mentait? Il pouvait très bien lui inventer toute une vie tandis que son véritable passé sombrerait dans les ténèbres. Elle continua de l'interroger, méfiante.

« Où suis-je?

-Dans une des salles du centre de recherche, la section numéro un plus précisément.

-Où?!

-Je pense que tu as parfaitement compris ma réponse. Je n'aime pas me répéter... »

Rin resta un moment sans voix. Elle avait bien senti que sous les paroles doucereuses de Naoki se dissimulait une once de menace chargée de sens. Elle frissonna en croisant son regard. Qui était donc vraiment cet homme? Elle hésita puis reprit la parole en prenant soin de changer de sujet.

« Pourquoi suis-je ici? »

Le beau jeune homme poussa un soupir embêté. Elle était bien trop curieuse, ces questions se révélaient être une source de problème pour Naoki. Il la regarda un moment, hésitant, puis choisit une approche pacifique de la question.

« Cela, je n'ai pas le droit de te le dire.

-Je vois...

-Excuse-moi mais je suis sensé respecter des règles et j'essaye de tout t'expliquer sans transgresser celles-ci!

-Les règles de qui, où, comment?! »

Voyant que Naoki ne répondrait pas, Rin sentit le désespoir s'emparait de son être. Son regard vira au bleu clair et une larme scintillante glissa sur sa peau pâle. Elle avait déjà tout oublié et on ne voulait rien lui dire... Quant elle s'exprima, sa voix était marquée par un profond désarroi.

« J'ai tout oublié, tout... Je n'ai plus rien, je ne connais plus rien, je ne suis plus rien... »

Suite à ces mots si durs et empreints de vérité, les larmes qu'elle retenait jusqu'à maintenant coulèrent sur ses joues sans couleur. Elle se prit la tête dans les mains et laissa libre court aux sanglants déchirant qui la traversaient. Naoki, dans un élan de sollicitude, la serra dans ses bras dans une étreinte réconfortante.

« Allons, ne dis pas des choses comme ça. Même si tu ne te souviens de rien, tu restes quelqu'un d'exceptionnel!

-Quelqu'un d'exceptionnel? L'interrogea Rin, surprise par les paroles qu'il venait de prononcer.

-Oui... »

Rin se dégagea avec douceur de son étreinte en le regardant sans comprendre, les yeux ouverts sur une interrogation muette. Elle ne voyait pas du tout où il voulait en venir. Plus il lui parlait, moins elle comprenait. Tout s'embrouiller dans son esprit. Et puis, qui était-il pour la prendre dans ses bras ainsi? Étaient-ils amoureux l'un de l'autre avant qu'elle ne perde la mémoire? D'ailleurs, comment avait-elle pu tout oublier ainsi? Que s'était-il passé? Elle posa une première question qu'elle ne pensait pas dérangeante pour son interlocuteur.

« Dis-moi Naoki... Qui es-tu par rapport à moi? Que sommes-nous l'un pour l'autre? »

Le jeune scientifique eut un sourire entendu avant de répondre de façon évasive à la question de Rin.

« Je suis tout simplement la personne qui t'as amené ici pour ton bien...

-Tu es donc mon ami? »

Naoki sembla réfléchir un moment avant enfin de donner une réponse, encore une fois incertaine.

« Oui, je suppose... »

La jeune femme ne comprenait pas qu'il puisse lui en cacher autant. Elle voyait bien que ses réponses étaient, pour la plupart, fausses ou incomplètes. Elle hésita puis poussée par l'envie de savoir, l'interrogea de nouveau.

« Comment ai-je perdu la mémoire?

-Je ne sais pas... » Répondit simplement le jeune homme.

Rin fulminait intérieurement. Naoki ne lui apprenait rien, il semblait véritablement décidé à la maintenir dans l'ignorance. Mais pourquoi, pourquoi tous ces secrets? Elle poussa un soupir et posa une dernière question.

« Je vais pouvoir partir?

-Non! Répondit violemment Naoki avant de prendre un air gêné. Je veux dire oui mais pas tout de suite... »

La tristesse s'empara de Rin. La réaction de Naoki lui semblait réellement démesurée, si violente. Tout cela cachait quelque chose. Mais elle était incapable de deviner quoi que ce soit, les souvenirs lui faisant cruellement défaut. Lez jeune scientifique reprit la parole, beaucoup plus doux.

« Je suis vraiment désolé Rin mais si je ne te fais pas sortir, c'est pour ta propre sécurité! »

La jeune femme hocha la tête sans vraiment y croire. Étrangement, ces paroles lui semblaient creuses et fausses. Un soupir passa le barrage de ses lèvres, traduisant son désespoir montant. Elle ferma les yeux, ne voulant plus regarder ni le jeune homme, ni cet endroit qu'elle détestait déjà sans se l'expliquer. Alors, Naoki lui caresse doucement les cheveux en lui murmurant quelques mots d'un ton très doux et bas.

« C'est bien, dors un peu, tout ira bien, tu verras... »

Rin ne répondit rien et tandis que le jeune homme quittait la pièce en prenant soin de la verrouiller, une larme coula lentement sur la joue de la créature désespérée avant que le sommeil ne l'emporte loin de cette douleur, de cet endroit, de tout.

Le bruit d'une clé, la porte qui s'ouvre et cette lumière qui l'arrache de ce doux sommeil réparateur. Rin ouvrit les yeux et vit Naoki près de la porte, un grand sourire aux lèvres. Il la salua brièvement.

« Bonjour Rin!

- Bonjour... » Répondit celle-ci d'un air las.

Naoki sembla surpris de cet accueil si peu chaleureux. C'est comme si elle sentait déjà ce qu'on allait lui faire subir. Il essaya tout de même de garder son sourire et prit la parole de nouveau.

« Aujourd'hui, tu vas être examiné par des médecins pour nous assurer que tu ailles bien.

-Est-ce vraiment nécessaire? À quoi cela pourrait-il bien servir?!

-Tu as dormi pendant près de deux mois, nous devons vérifier ton état de santé.

-Je... N'ai pas envie de faire ces examens...

-Peut-être mais ce n'était pas une demande, tu viens avec moi! »

Et tout en disant cela, Naoki lui prit fermement le bras avant de l'entraîner derrière lui. Elle essaya de lutter un instant mais en voyant le regard du jeune homme, elle jugea préférable d'obéir pour le moment. Ils passèrent par de longs couloirs aux murs blancs avec tous les deux pas, une porte de cette même couleur, blanche encore. Rin se demandait si ils ne tournaient pas en rond tellement chaque portion de couloir se ressemblait. Mais au bout d'un moment qu'elle jugea éperdument long, ils débouchèrent devant une porte blanche comme toutes les autres mais ornée d'une petite plaquette dorée où était inscrit : "Observations". Rin sentit un frisson de terreur la traverser sans qu'elle puisse se l'expliquer. Naoki la prit par la main pour l'emmener avec lui après avoir ouvert la porte mais la jeune femme resta clouée sur place. Le jeune homme s'énerva.

« Viens et vite!

-Je, non, je ne veux pas entrer là-dedans! »

Naoki poussa un soupir et la gifla. La jeune femme laissa échapper un cri de douleur sans comprendre. Comment avait-il pu? Le scientifique profita de son désarroi pour l'obliger à entrer précipitamment. Une fois à l'intérieur, il ferma la porte à clef d'un geste sûr de lui. Rin regarda autour d'elle avec un air peu rassuré tout en tremblant. La pièce était emplie de machines étranges dont elle ne connaissait ni l'utilité ni leur structure. Il y avait aussi Hyashi... Malgré la perte de ses souvenirs, elle n'avait oublié ni le nom de cet homme, ni la crainte qu'il lui inspirait. Elle avait une peur panique de l'approcher. Celui-ci s'avança doucement vers elle et caressa ses magnifiques cheveux pourpres avec un geste empli de douceur et sensualité.

« Rin, qu'est-ce que tu es jolie... »

La jeune femme s'échappa des mains de ce tyran en baissant la tête d'un mouvement brusque. Mais avant qu'elle n'ait pu s'éloigner, il l'avait attrapée et l'obligeait à montrer son fragile visage.

« Non, montre-moi ton beau visage, ces magnifiques yeux emplis de cette crainte que j'aime tant... »

Enfin, il la lâcha avant de rire avec amusement. La pauvre créature, terrorisée, se dirigea dans un coin de la pièce où elle s'allongea en boule tout en fermant les yeux pour échapper à cette vision si dérangeante. Naoki, lui, se taisait en regardant son supérieur agir. Hyashi s'approcha de Rin, la releva brutalement et la fit s'allonger sur le ventre sur l'espèce de siège qui ornait le centre de la pièce. Elle dut se résigner à obéir sans rien pouvoir tenter. Le scientifique observa son dos avec un certain intérêt.

« Alors, après déjà deux mois, tes cicatrices sont restées les mêmes. Comme c'est étrange, on dirait que nous n'avons procédé à cette opération qu'hier au soir. Je vais essayer de... »

Il se tut alors, laissant Rin s'inquiéter de son sort précaire. Elle sentit alors les mains du scientifique se poser sur son dos sans aucune douceur. Elle ne put s'empêcher de grimacer mais n'osa rien dire. Il s'arrêta sur un endroit précis de son dos et passa plusieurs fois ses doigts au même endroit avec douceur, faisant frissonner la jeune femme.

« Cette cicatrice... je me demande... »

Elle sentit qu'il appuyait fortement sur cette cicatrice comme il disait mais se mordit les lèvres pour s'obliger à se taire. Il ne fallait pas qu'il voie sa peur, ce serait encore pire sinon. Quelques instants plus tard, elle crut que son dos prenait feu. La douleur irradiait à présent dans tout son corps comme des flammes brûlantes qui la dévoreraient de l'intérieur! Elle poussa un hurlement déchirant, inhumain, avant de s'évanouir, un voile noir s'abattant sur ses yeux. Des images lui venaient à l'esprit, floues et désordonnées mais pourtant avec un sens qu'il lui semblait comprendre. Une enfant aux longs cheveux rouges dans les couloirs d'une école... Elle pleurait à chaudes larmes, dévorée par un désespoir croissant. Elle semblait parler seule mais on pouvait voir dans ses propos qu'elle s'adressait à sa mère.

« Mère, ils me détestent tous! J'ai pourtant caché mes ailes, mes magnifiques ailes, comme vous me l'aviez dit mais mes cheveux pourpres, ils disent que ce sont ceux d'une sorcière! Ils disent même qu'on va me brûler! Mère, j'ai si peur et si mal, tellement mal... J'aimerais tant qu'ils m'acceptent comme je suis. Pouvoir avoir des amis, ce serait tellement merveilleux, c'est mon rêve le plus cher... »

La vision de l'enfant disparue pour laisser place à une autre image, sans doute la même jeune file, mais plus âgée. Elle devait avoir une dizaine d'années, un peu plus, et discutait avec sa mère.

« Mère, dis-moi encore une fois, comment était mon père?!

-Ton père?! Dit celle-ci avec un léger sourire. C'était un héros, il naviguait sur les mers à la recherche de multiples trésors tous plus merveilleux les uns que les autres. Mais un jour malheureux, son bateau vint à sombrer l'entraînant dans les profondeurs de la mer. C'est tellement triste...

-Tu es sûr? La coupa l'adolescente, hésitante. Cette histoire est bien étrange, tirée par les cheveux dirais-je... Tu sais, même si ce n'est pas un héros, tu peux tout me dire, je ne cesserais pas de l'aimer! Après tout, il reste mon père malgré sa mort ou ce qu'il a pu faire. Et puis... Tu sembles toujours si heureuse, c'est tellement irréel! »

La jeune fille aux cheveux pourpres leva ses yeux bleus sur sa mère et attendit innocemment une réponse. Celle-ci ne se fit pas attendre. Sa mère resta muette quelques instants puis ce fut l'explosion! Elle se mit à crier, hurler, vomissant toute la haine qu'elle avait intériorisée depuis si longtemps. Elle attrapa violemment sa fille par les cheveux et la secoua avec brutalité, celle-ci pleurant et gémissant, la suppliant de cesser.

« Tu crois que je suis heureuse pour qui?! Pour qui crois-tu que je fais tous ces efforts, hein?! J'étais et je suis tellement malheureuse que j'aurais préféré crever mais toi, tu étais là! Ton père n'était autre qu'un ange, difficile à croire déjà, mais pas un ange normal, non... c'était un ange déchu. Tu sais comment j'ai pu tomber enceinte de lui, te l'imagines-tu un seul instant? Il m'a violé, tu comprends cela, violé?! Tu es la fille de celui qui a détruit ma vie! Je le hais, je voudrais qu'il meure! Mais il n'y a que toi, toi, sale petite garce! Je vais te faire regretter d'être venue au monde, là, je serais heureuse! »

La mère se mit à frapper sa fille avec une violence non contenue. Plus l'enfant hurlait de douleur, plus la mère semblait prendre plaisir à lui faire subir ce calvaire. C'était une vengeance pour elle, un moyen de faire ressortir toute la haine qu'elle avait contre le père de son enfant. Elle essayait de rejeter sa souffrance sur l'enfant qui était née de sa douleur. Quand elle s'en lassa enfin, elle partir se préparer un petit encas pour satisfaire son appétit. Sa fille était allongée à même le sol, sur un tapis, les yeux grands ouverts qui criaient sa détresse. Elle respirait avec peine et son corps était couvert des coups que sa mère s'était fait un plaisir de lui faire subir. Les larmes ruisselaient sur ses joues, elle souffrait tellement, si seulement, elle avait pu se taire... Elle était donc idiote au point de ne pas savoir profiter du bonheur quand il était là?! Cette courte vision laissa place à d'autres images. C'était encore et toujours la même fille. Elle était plus âgée et était assise sur un trottoir le long de la chaussée. Elle semblait attendre quelqu'un ou quelque chose... À ce moment, passèrent devant elle deux jeunes et jolies jeunes femmes richement vêtues qui s'arrêtèrent devant elle en gloussant.

« Tu as entendu parler d'elle? Dit la première, une blonde aux jolis yeux noisette.

-Oui, oui, bien sûr! Une rumeur dit même qu'elle aurait des ailes, noires qui plus est!

-Des ailes, tu y crois à cela, toi?! Dit la plus jolie avec un air amusé.

-Du tout. Mais surtout, chuchota la seconde, jeune brunette aux yeux verts, on dit qu'elle est une fille de joie!

-Oui, c'est exacte, c'est ainsi qu'elle gagne sa vie!

-Quel comportement dégradant! Je me demande comment peut-on en arriver là?!

-C'est vrai, ce n'est qu'un déchet humain, enfin, non, elle n'est même pas humaine disent certains... En attendant, nous allons pouvoir nous amuser un peu! »

Les deux femmes se regardèrent en souriant et la première s'approcha avec un mépris non dissimulé de la jeune femme aux longs cheveux pourpres. Celle-ci la regarda comme on regarde un simple détritus et ne lui prêta pas plus d'attention. La jolie blonde prit la parole d'un ton hautain où la méchanceté perçait.

« Dis-moi, il paraît que si on te paye assez généreusement, tu es prête à offrir tes... services, c'est exact? Parce que, dans ce cas, moi, j'ai énormément d'argent contrairement à toi, pitoyable créature qui ne peut que vendre son corps! »

Les deux femmes se mirent alors à glousser, se moquant impunément de la jeune fille. Celle-ci se sentit perdre la raison, la colère et la haine prenant le dessus sur tout le reste. Cette femme mauvaise et moqueuse, c'était la goutte d'eau en trop, celle qui allait faire éclater tout ce qu'il y avait sur son cœur. Elle tâta le sol à côté d'elle pour trouver un appui qui lui permettrait de se relever et se coupa légèrement la main sur un bout de verre tranchant. Son premier réflexe fut de s'en emparer. Elle s'en servit ensuite pour poignarder les deux jeunes femmes sans pouvoir se contrôler. Longtemps après leur mort, elle continuait à déchiqueter leurs corps avec son couteau improvisé. Une passante attira alors l'attention sur elle en poussant un hurlement de terreur, on l'avait vu... Une foule se forma autour d'elle et on lui lança des pierres en lui criant qu'elle était un assassin, un monstre. La scène s'effaça pour en venir à une nouvelle vision. La jeune femme aux longs cheveux pourpres se trouvait à présent dans une cage, fermement attachée par des cordes. Elle essayait de hurler mais un bâillon l'en empêchait. L'homme qui la surveillait, un brave agent de police, se tourna vers elle en poussant un soupir et dit quelques mots.

« Tu ne devrais pas t'exciter comme ça, cela ne servira à rien... Tu as commis un crime grave et tu dois payer comme tout le monde, même si tu te différencies des simples humains par tes magnifiques ailes. Demain matin, à l'aube, tu rendras l'âme entre les mains de mon frère, ton bourreau... »

Mais à peine eut-il dit ces mots qu'un homme et ses deux sbires entrèrent dans la pièce. L'homme, qui semblait être une de ces éminentes personnalités de la société, lui montra un ordre signé par le conte, dirigeant de la région et ses alentours.

« Je suis Hyashi, nous venons chercher cette créature au nom de la science!

-Mais...

-Je suis sûr que cette petite rémunération nous accordera et votre bénédiction, et votre discrétion! »

À peine eut-il dit cela qu'il sortit de sa poche une bourse généreusement remplie qu'il jeta sur la table. Celle-ci s'ouvrit avec le choc, libérant quelques pièces d'or scintillantes. Une lueur intéressée brilla dans les yeux du gardien à la vue de tout cet argent et il répondit avec un sourire engageant à Hyashi.

« Bien sûr, vous avez mon accord!

-Très bien, dit le scientifique avant de s'adresser à ses hommes de main. Vous deux, emmenez-là! »

Les deux molosses, car les deux hommes étaient vraiment très impressionnant, hochèrent la tête et obtempérèrent. Un premier ouvrit la cage tandis que le second prenait la jeune femme dans ses bras avant de partir accompagné de son compagnon et son supérieur. L'image se brouilla encore une fois pour laisser place à une dernière scène. La jeune femme, encore une fois toujours la même... Elle courait à présent dans ce qui semblait être le couloir d'un hôpital. Son dos laissait voir deux cicatrices, elle n'avait plus ses ailes... Elle essayait de s'enfuir, désespérément. Mais elle fut vite attrapée. Qu'elle ne fût pas sa surprise en constatant que l'homme qui venait de l'arrêter n'était autre que Naoki! Elle vit la créature se faire piquer par des dizaines d'aiguilles brandit par un groupe de scientifiques avant de sombrer dans un sommeil douloureux. Toutes les images se brouillèrent jusqu'à ce qu'elle ouvre ses magnifiques yeux bleus.

Rin avait le souffle court et semblait un peu perdue. Elle sentit tout d'un coup son estomac se contractait avant d'être prise d'une violente quinte de toux et de cracher une gorgée de sang. Elle se tenait le ventre d'une main, et de l'autre essuyait le sang qui avait coulé le long de ses lèvres. Que lui arrivait-il donc?! Elle demeura tremblante un moment avant de réfléchir à ce qu'elle avait vu. En tout cas, elle était sûre que tout ceci n'était pas un simple rêve. Ce passé, son passé, il avait l'air d'avoir été si difficile... Et pourtant, elle ne se souvenait de rien, ou presque. Le pire dans tout cela, c'est qu'elle était sûre à présent que cet endroit était dangereux et qu'elle en était prisonnière. Et Naoki, ce lâche, qui n'était autre qu'un traître et un menteur! Il fallait qu'elle se sauve et vite! Elle ne pouvait pas rester ici une seconde de plus. À présent, un sentiment d'urgence la poussait à partir le plus vite possible. Elle voulait vivre et pour cela, il fallait qu'elle sorte d'ici! Elle essaya de se redresser mais fut stoppée en plein élan. Elle poussa un cri de rage en constatant qu'une sangle de cuir la retenait au niveau de la taille. Elle se débattit, s'énervant, tirant sur la sangle de toutes ses forces mais rien n'y fit. Elle finit par se mettre à sangloter violemment avant d'essayer de se calmer un peu pour pouvoir réfléchir. Elle était dans la même pièce que celle où elle avait vu Naoki. Son regard se posa sur une petite table où étaient rangés divers outils. Un d'eux attira son attention. Un scalpel était recouvert d'un étrange liquide pourpre à la consistance brillante. Elle tendit la main pour s'en saisir mais ses doigts s'arrêtèrent à quelques centimètres de l'instrument. Elle ne pouvait pas s'en saisir, il était trop loin. Elle tenta plusieurs fois de tendre son corps à l'extrême mais rien à faire, l'objet semblait se dérober à sa poigne. Elle finit par s'énerver et tapa du poing sur la petite table. Ce simple geste fit tressauter le scalpel qui se rapprocha de quelques centimètres de ses doigts. La jeune femme se saisit de l'instrument et examina la lame avec minutie. Celle-ci était recouverte d'une étrange substance qui ressemblait à du sang recouvert par un voile brillant. C'était complètement différent de tout ce dont elle se rappelait. Le liquide avait gardé sa couleur pourpre mais une légère pellicule brillante, presque invisible, le recouvrait. Rin passa son doigt par-dessus et frissonna en constatant que c'était chaud comme si le sang venait à peine de couler. Elle resta quelques minutes interdite devant ce phénomène puis choisit de passer à l'action. Après tout, elle aurait tout le temps de réfléchir si elle réussissait à s'enfuir. Elle examina de plus près la sangle qui lui ceignait la taille avant de remarquer que celle-ci semblait légèrement moins solide en un certain point. C'est à cet endroit qu'elle commença à attaquer le cuir avec la lame aiguisée de son scalpel. Elle jetait de temps en temps des coups d'œil craintifs à la porte de sa prison, craignant de voir apparaître Naoki, ou pire, Hyashi. Plus le temps passait, plus la peur de voir débouler quelqu'un était présente. La sangle finit par céder après de longues minutes de craintes. La jeune femme n'attendit pas une seconde de plus et se rua sur la porte, en prenant garde toutefois à prendre le scalpel qui pourrait toujours servir en cas de problème... Mais avant même que sa fragile main n'ait touché la poignée, celle-ci tourna avant que la porte ne s'ouvre sur Naoki. Celui-ci demeura stupéfait quelques instants. Ce fut sans doute cela qui sauva la vie de Rin. Elle n'hésita qu'une seconde avant de lever le scalpel et l'abattre sur le beau jeune homme. Celui-ci poussa un hurlement de douleur déchirant en se prenant le visage dans les mains. Du sang s'écoulait de son œil percé. Rin s'enfuit de suite, gardant en main le scalpel qui répandait des gouttelettes pourpres sur son passage. Bientôt des cris résonnèrent derrière elle et des bruits de course parvinrent à ses fines oreilles. La jeune femme raffermit sa prise sur son arme de circonstance en gardant un air impassible. La chasse commençait... Où que ses pas la menaient, elle avait toujours l'impression de tourner en rond. Toujours les mêmes murs blancs, ces portes fermées, ce carrelage froid sous ses pieds nus et surtout, cette semi obscurité si inquiétante. Pourtant, il lui sembla un instant voir de la lumière avant d'apercevoir des portes. Un sourire apparut sur son visage torturé, la liberté l'attendait à la sortie de ce couloir. Elle continuait à courir toujours plus vite quand un sentiment de danger la saisit à la gorge. Arrivée à un croisement, un frisson la traversât et elle chancela avant de faire un pas de côté. Ce geste lui permit d'éviter la poigne d'Hyashi. Mais celui-ci n'abandonna pas pour autant, du tout! Il se jeta sur elle avec une expression de satisfaction cruelle sur le visage. Rin l'évita d'un saut sur le côté puis leva son scalpel sur l'homme qui l'avait tant fait souffrir. Celui-ci n'y prit pas garde et continua d'avancer, sûr qu'elle n'oserait pas lever la main sur lui. La pauvre créature hésitait, oscillant entre peur et haine. Finalement, la haine et la soif de vengeance eurent raison de son état de conscience. Elle abattit le scalpel une fois, deux fois puis encore une fois, encore et encore, longtemps après la mort de sa victime. Elle était possédée par son désir de vengeance et de haine et la vue du sang n'avait fait que l'exciter davantage. Quand elle s'arrêta enfin, le visage d'Hyashi ne ressemblait plus qu'à une bouillie infâme qui trempait dans une mare de sang. La jeune femme, se rendant compte de l'atrocité de son geste, se mit à sangloter avant de tomber à genoux devant le cadavre en lâchant son arme. Mais malgré cela, la proximité de la liberté la poussa à continuer. Elle se traîna jusqu'à la porte, répandant sur son passage le sang d'Hyashi qui avait coulé sur ses vêtements. Elle poussa la porte avec un air d'intense satisfaction et regarda le ciel comme la plus belle chose qu'elle ait pu voir. Mais sa vue se brouilla de larme en voyant à quoi ressemblait le monde extérieur. D'immenses nuages gris peuplaient le ciel, fruit des produits chimiques déversés par les innombrables usines. La terre sur laquelle elle était étendue n'était autre que du goudron noir, sale et dur. Où qu'elle posait son regard, elle ne voyait que ces immenses bâtiments horriblement laids. Sa gorge était agressée par des produits plus qu'infects. Et son ouïe si délicate était confrontée à des bruits de métal ou d'autres choses toutes aussi laides. Les larmes coulaient le long de ses joues, produit de son immense désespoir. Et elle sentait si mal, tellement mal. Elle devait se forcer pour garder les yeux ouverts. Elle s'attendait à voir débouler les scientifiques d'un instant à l'autre, terrorisée. Mais elle oublia sa peur et tout le reste quand elle vit une silhouette sombre s'approchait d'elle. C'était une silhouette féminine, elle portait une capuche d'où s'échappaient quelques mèches de cheveux blonds. Rin leva les yeux vers elle et malgré la crainte que lui inspirait cette ombre, elle était résignée. Elle dit quelques mots d'une vois suppliante.

« Vous êtes la mort, n'est ce pas? Alors prenez-moi, emmenez-moi loin de cet endroit affreux... »

La jeune femme tendit la main vers l'étrange apparition avant de sentir ses yeux se fermer malgré elle.